L’imaginaire collectif retient volontiers de Marcel Duchamp l’image du penseur distant, pur esprit échappant au labeur de l’art pour se consacrer à des activités intellectuelles. Une dématérialisation de l’art au profit de l’idée, via l’abandon d’une “servitude manuelle de l’artiste”. Pourtant, on sait que l’artiste a mené, dans une certaine clandestinité, de vastes chantiers manuels, fondés sur la précision, la minutie et le labeur. Son goût pour les matériaux et le bel ouvrage se retrouvera dans le soin apporté à la fabrication des différentes séries des Boîtes en valise, des Stoppages-étalon ou des reliures de livres (Prière de toucher, Ubu Roi d’Alfred Jarry). En écho concret à une vision mécaniciste du monde, il y a chez Duchamp l’idée d’un travail pur, presque intransitif, replié sur lui-même, qui produit très peu. Au revers de son caractère foncièrement jouisseur et dilettante, l’artiste a donc une face besogneuse et ascétique, qui se plaît dans la solitude et le renoncement, avec un souci maniaque de la finition. Il ne s’agit pas de virtuosité, mais plutôt de labeur, comme un retour provocateur et ironique à la mécanique des arts serviles, préfigurant le caractère répétitif d’un certain art conceptuel à la Sol LeWitt ou Hanne Darboven. À partir de cette figure emblématique des tensions fécondes entre forme et pensée, intelligence et technique, Des gestes de la pensée inaugure une programmation imaginée par Guillaume Désanges qui se déclinera sur plusieurs expositions, prenant comme point de départ la figure de Marcel Duchamp vu sous l’angle de l’artisanat dévoyé, dans une continuation directe, électrique, de la pensée au travail. Il s’agit de rassembler des pratiques contemporaines fondées sur l’obsession, la finition, le travail comme prolongement de la pensée. Une vision ascétique des choses dans une insoumission à une temporalité productive imposée par l’extérieur. Premier volet d’un cycle au titre éponyme, cette exposition se veut comme une étape annonciatrice de cette programmation. Autour de quelques œuvres originales de Marcel Duchamp, il s’agit de proposer à des artistes contemporains de présenter des œuvres qui correspondent à cette idée d’une économie artisanale personnelle venant révéler une pensée au travail. L’objet fétiche travaillé hors des regards, voire hors du temps, des modes, et qui n’a pas de coordonnées dans un espace balisé des formes. De la pensée mise en œuvre, dans la brutalité de la matière. Commissaire : Guillaume Désanges. Avec Marcel Duchamp, Elias Crespin, Hubert Duprat, Hans-Peter Feldmann, Michel François,Ann Veronica Janssens, Irene Kopelman, Corey McCorkle, Benoît Maire, Anna Maria Maiolino, Francisco Tropa. La Verrière – Fondation Hermès 50 Boulevard de Waterloo Bruxelles, Belgique www.fondationdentreprisehermes.org Photographies courtesy La Verrière – Hermès.